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NJEL BA TADA
10 août 2011

NLOO NJEL 10

YOHA est arrivé devant le bâtiment de ses angoisses avant tout le monde, le bâtiment de la SDN. Il ne s'est pas aperçu de la distance parcourue, sur une route couverte de poussière et de cailloux. Il ne se souvient plus des hommes qu'il a rencontrés, les premiers revenant de la brousse avec leurs provisions de vin de palme pendant sous le bras, dans une calebasse, ou alors un bien dodu porc-épic pris au piège la nuit même. Le gardien s'est rapidement approché de lui, comme il le fait chaque fois pour dissuader l'éventuel voleur. Il ne porte ni lance ni flèche. Ici, ce n'est plus de mise depuis l'indépendance du pays. Le village a payé un lourd tribu aux dieux de la libération et le deuil a à tout jamais imposé la loi du sourire et de la main tendue. En plus, on se connaît tous, personne ne viendrait vraiment insister s'il était aperçu dans un acte malveillant. Pourquoi donc le vieux gardien devrait- il être armé?

Bientôt toute la cour s'anime. On s'embrasse, on se salue et les éclats de rire fusent, précédés de discutions à bâton rompu, certains exhibent leurs beaux habits. Un homme d'une cinquantaine d'années tient un enfant par la main, un autre moins âgé allume une cigarette et une jeune fille le regarde envieuse et rêveuse, debout une jambe devant l’autre, les bras croisés sous les seins naissants. Au coin de la cour, assises sur de vieux blocs de béton, deux femmes déballent à la hâte leur marchandise ; Des beignets de manioc frits toute la nuit à l'huile de palme, sous l'éclairage d'une torche nourrie à la même matière. Ils ont ensuite été rangés dans de grandes cuvettes en bois et recouverts de larges feuilles de bananiers. Ils seront vendus cinq de la grosseur d'un œuf de poule pour (un peu plus d’un centime d’euro) dix francs CFA, et mangés avec du piment ou de la bouillie de maïs que propose une jeune et belle fille de douze ou treize ans aux pieds nus.

Si vous avez vécu dans un pays où chacun achète des denrées en grande quantité, vous serez fort surpris de voir les habitudes de troc d'ici presque toutes classes confondues, et vous apprécierez l'esprit d’économie de nos hommes et nos femmes. Ils achètent cinq morceaux de sucre retirés d'une boîte, une aiguille à coudre, cent grammes de farine de manioc, de sel mesuré dans un métallique de récupération, un œuf, une louche d’huile. Ils ne jettent aucun  sac en papier ou en plastique qui leur tombe sur les bras; ceux-ci servent à mille et un usages avant d’aller avec regret non au rebut, mais chez d’autres qui leur trouveront de nouvelles nécessités.

Cette jeune fille assise sur un banc fabriqué à la mesure de son promettant postérieur vend des beignets de manioc depuis trois vacances pour aider sa mère à payer l'école de ses six frères. Elle aurait aussi bien aimé y aller apprendre à lire et à écrire, ne serait-ce que pour le plaisir de savoir ce qu'elle dit quand elle égraine son chapelet d'insultes exotiques sur un client indélicat. Armée d'un vieux crayon ordinaire à la mine épaisse et de quelques feuilles lui restant d'un carnet  qu'elle déchire  au gré des paiements de ses clients toutes les fins de mois, elle fait noter par un jeune homme, toujours le même qui consomme gratuitement tout en lui faisant les yeux doux, les dettes de tous ceux qui ne peuvent payer immédiatement. Tous, sans en exclure un seul. Lorsqu'ils sont convaincus de leurs actes par le secrétaire et soignés par les injures de la fille qui ne se laisse pas faire, ils payent. Dans la honte, mais ils le font quand même. Alors, pourquoi punir une seconde fois celui qui se fera tout petit pendant quelques jours. La prochaine fois, il lui sera refait crédit.

Ici, rien n'est comme dans tous les villages que YOHA a traversés. Les classes se distinguent nettement parmi les travailleurs. Et si plus haut on a parlé de ceux qui sont parés d'habits de prix, ils ne sont que quelques uns à avoir une fois été en ville. Ils en  ont rapporté qui un vieux chapeau, qui d'autre une belle paire de chaussure ou un costume, toujours les mêmes, qu'ils bichonnent à longueur de jours et de saisons. Il y a surtout ceux qui se font vêtir par la SDN. Une salopette ou une blouse marron au dos de la quelle ils écrivent à l'encre ou à la peinture leurs rêves, leurs tristesses et leur joies. " L'ETERNEL EST MON BERGER " indique l'un; "MON JOUR VIENDRA" indique l'autre.  Ensuite: "QUI SAIT DEMAIN", "KALINGA LE FEU",      " BRAS DE FER" (…).

La blouse  qui attirait le plus d'attention, c'était celle que portait un jeune homme venu à dos d'âne à NKONDJOCK au moment de la construction de la SDN. Il y était arrivé avec pour seul bagage qu'un MANGONGA, une sorte de tambour parlant, utilisé pour animer les fêtes et les activités champêtres dans les  villages du nord du pays. Ici, "MANGONGA" ne signifiait pas la même chose; c'était plutôt la partie procréatrice féminine, dans un ton différent que les mauvais garçons utilisaient allègrement pour marcher sur les sempiternelles pudeurs et tabous de leurs aînés.

Cet instrument parle comme vous, avec toute la passion et toute l’intimité que peut dégager une voix humaine.

La clé permettant de comprendre comment parle le MANGONGA réside dans les langues africaines elles-mêmes. Bon nombre de langues d’Afrique centrale et occidentale sont essentiellement bitonales : la prononciation des syllabes de chaque mot est affectée d’un ton, soit haut, soit bas. Un changement de ton change le sens du mot. Prenez le terme DI SAK. Selon les tons donnés aux deux syllabes, il signifie “ DANSONS ” (tons haut-haut) chez les BASSA.  Attention ! En produisant une sonnorité haut-bas, cela devient :“ FAISONS L'AMOUR ”, chez les DIBOMS dans le NKAM.

 
Les tambours à fente

Parmi les tambours parlants figure le tambour à fente. On le fabrique en évidant une pièce de bois. Il n’y a pas de membrane de peau aux extrémités. Bien que le tambour montré ici ait deux fentes, beaucoup n’en ont qu’une, longue. En frappant sur un bord de la fente, on obtient un ton haut, en frappant sur l’autre un ton bas. La longueur des tambours à fente, généralement de 1 mètre, varie de 50 centimètres à 2 mètres. Le diamètre va de 20 centimètres à 1 mètre.

Un joueur expérimenté “ parle ” donc en imitant la tonalité des mots du langage oral. Une langue bitonale possède généralement beaucoup de mots qui ont à la fois le même nombre de syllabes et la même mélodie tonale. Par exemple, dans la langue douala parlée dans le littoral du Cameroun, environ 130 mots ont la même mélodie tonale (haut-haut) que sango, “ père ”, et plus de 200 la même (bas-haut) que nyango, “ mère ”. Pour éviter les confusions, les joueurs placent ces mots dans un contexte, de petites phrases bien connues qui contiennent une variation suffisante pour que l’auditeur comprenne ce qui est dit.

Le tambour à fente ne servait pas seulement à propager des messages d’un village à un autre. Nombreux sont les conteurs et les poètes qui décrivent décrit le rôle de cet instrument dans les combats de lutte tant aimés des africains. Tandis que les deux équipes adverses se préparent à s’affronter sur la place du village, les champions dansent au rythme de ces instruments qui chantent leurs louanges. Le tambour d’un camp dit par exemple : “ Champion, as-tu jamais rencontré un adversaire de ton niveau ? Qui peut rivaliser avec toi ? Dis-le nous. Ces pauvres créatures pensent qu’elles peuvent te battre avec une pauvre [âme] qu’elles appellent un champion, mais personne ne pourra jamais te battre. ” Les musiciens du camp adverse répondent à ces moqueries inoffensives par un proverbe : “ Le petit singe, le petit singe, il veut monter à l’arbre, et tout le monde croit qu’il va tomber. Mais le petit singe est têtu, il ne tombera pas de l’arbre, il montera jusqu’au sommet ce petit singe. ” Et, pendant toute la rencontre, les tambours continuent à divertir un public presque pris de transe qui crie et avale à grandes gorgées la sève fermentée de palmier.

Le roi des tambours parlants

Les tambours à tension sont plus perfectionnés encore. Ces instruments en forme de sablier sont dotés d’une membrane à chaque extrémité, une fine peau de chèvre tannée. Les deux membranes sont reliées par des lanières de cuir. En appuyant sur les lanières, on accroît la tension de la membrane. Ce système permet de produire des notes s’étageant sur une octave ou plus. En se servant d’une baguette recourbée et en modulant la hauteur et le rythme des sons, un joueur habile peut imiter les inflexions de la voix humaine et “ dialoguer ” avec ses homologues.

Depuis quelques d’années, les tambours d’Afrique parlent moins, même s’ils conservent une grande place dans la musique. Les énormes tambours du passé, dont la voix portait sur des kilomètres et qui servaient exclusivement à la transmission de messages, sont de moins en moins utilisés. Le téléphone portable a fait son apparition dans les villes et les villages. Ceux qui ne l'ont pas encore profitent du voyage d'un ami, un parent ou même d'un inconnu qui passe pour envoyer leurs messages. A point nommé, le messager demandera au chauffeur de ralentir, sortira sa tête par un hublot à peine ouvert pour lancer à l'adresse de tout le village ce qui en réalité ne concerne qu'un individu. Mais ça, les tambours l'ont toujours aussi fait.

 

 

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Commentaires
T
C'est beau<br /> C'est vrai<br /> C'est pur<br /> C'est Ancestral !!!
NJEL BA TADA
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NJEL BA TADA
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